Albert Londres n’a pas seulement « porté la plume dans la plaie » sur les fronts de conflits à l’autre bout de la planète. En 1925, c’est en France qu’il mène l’enquête, embarquant ses lecteurs dans différents asiles, chez les fous.
De retour du bagne de Cayenne, c’est à une autre forme d’enfermement, plus insoupçonnable encore dans l’opinion publique, qu’Albert Londres décide de faire prendre conscience à ses lecteurs. Ce grand-reporter du XXème siècle, considéré comme un père du journalisme moderne, avait pour ambition de frapper les esprits, en ouvrant les yeux de ses lecteurs sur des sujets cachant une sombre vérité. Il est l’un des rares journalistes à avoir rapporté ce qu’il voyait dans sa plus pure vérité, dans un monde où certains faits ne demandent qu’à rester enfouis dans les bas-fonds de la société.
Après avoir difficilement réussi à pénétrer dans un premier asile, il fait part au lecteur de ce qu’il y trouve. Son récit est rythmé par des mini-descriptions et beaucoup de dialogues avec ceux qu’il rencontre : médecins, personnel, fous mais aussi leurs proches. Sa pâte journalistique, concise et entraînante, y est reconnaissable. Ainsi, il permet à ses lecteurs de voir une situation dans laquelle « seule une intelligente personne comprenant les nécessités du journalisme contemporain avait les deux yeux grand ouverts ». Avec ses commentaires et une touche d’ironie à l’appui, le lecteur n’a d’autre choix que de rentrer avec lui dans la réalité qui pèse sur les asiles psychiatriques français.
Des asiles pour stocker, pas pour soigner
En continuant ses visites, il dénonce les vices de ces établissements censés soigner les malades mentaux. Il y décrit comment les fous y sont attachés, camisolés, voire totalement laissés pour compte par manque de connaissances en la matière. Pour Londres, c’est simple, « Le fou est né trop tôt ». Entre la loi qui favorise la sortie des criminels à celle des « guéris », les conditions de vies des «détenus», ou la responsabilité des médecins dans leur enfermement, ses observations ne manquent pas de dénonciations. Parmi les cinq établissements visités, un seul considérait que « pour soigner les fous, il faut d'abord prendre la peine de comprendre leur folie ».
Pour un lecteur moderne, il n’est pas difficile de se perdre dans la trame de ce récit complet, mais structuré sans transitions… Heureusement, dans un chapitre conclusif fort appréciable en termes de clarté, Londres reprends concrètement le caractère aberrant des asiles français. Parmi ses dernières déclarations, une statistique particulièrement choquante : « Sur 80.000 internés, 50.000 pourraient être libres sans danger pour eux ni pour la société ».
Cette enquête réalisée d’une main de maître en sort d’autant plus efficace, qu’elle pousse les lecteurs contemporains à remettre en cause leur propre vision des fous. Si les choses ont heureusement évolué depuis Londres, le rapport de l’opinion publique à la différence - et plus précisément à la folie - sont toujours autant d’actualité. Finalement, l’interrogation d’Albert Londres continue de devoir nous concerner : « notre devoir n'est pas de nous débarrasser du fou mais de débarrasser le fou de sa folie. Si nous commencions ? »
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