Dans cette mini-série américaine tirée du roman éponyme de Walter Tevis, le spectateur est projeté au cœur de l’ambiance déjantée et rétrograde des sixties. Il y suit l’évolution de Beth Armon, jeune prodige des échecs.

Nul besoin de s’y connaître au jeu d’échecs : la seule règle qu’impose Le jeu de la dame est de savourer les messages véhiculés par des scènes somptueusement réalisées. Rassembler le plus grand nombre autour d’un univers très peu connu du grand public, n’est-ce pas ainsi que le cinéma devient lui-même prodige ?
La grande richesse du Jeu de la dame – The Queen’s Gambit dans sa version originale – c’est qu’elle apporte un regard différent sur une période déjà populaire au cinéma. La lutte entre l’américain (en l’occurrence, au féminin) parti de rien contre le grand maître russe prend une tournure élégante et fairplay, à l’image du jeu en question. Le contexte de la guerre froide donc, mêlé à l’intérêt pour une jeune prodige, suffisent à s’adresser à un large public, et pas seulement aux amoureux d’échecs.
Pour autant, l’échiquier est loin de passer au second plan. Pour superviser les scènes de jeu, le réalisateur a fait appel à de grands noms : le champion Garry Kasparov et le coach Bruce Pandolfini. Grâce à eux, les acteurs ont appris à manier les pièces comme des pros, et chaque partie a été imaginée pour l’occasion. L’influence des magazines spécialisés et d’autres grands joueurs est également omniprésente, tout comme elle l’était dans le roman de Walter Tavis. De quoi permettre à la plupart des spectateurs de découvrir réalistement le milieu, tout en satisfaisant les connaisseurs.
Des messages porteurs de sens
Dans un contexte historique où la société était dominée par les hommes, Beth Armon réussit à s’imposer dans le milieu d’autant plus exclusif des échecs. Sans jamais renier sa féminité pour se « fondre dans la masse », elle la met justement en avant, s’imposant aussi bien dans son style que dans ses grâcieuses attitudes. Pour les autres femmes de la série, comme sa première adversaire ou sa mère adoptive, mais aussi pour les spectateurs, elle est un exemple qui contribue, grâce à son génie, à faire évoluer la condition des femmes dans la société.
Ce qui est positif également, c’est que contrairement à de nombreuses œuvres où le personnage principal est une femme, Le jeu de la dame n’accentue pas exagérément les affinités de Beth. Elle est proche de plusieurs hommes et compte quelques amies qui contribuent à son évolution, mais elle reste très indépendante, prenant ses propres décisions et se laissant aller à ses vices sans que personne ne puisse l’en empêcher. Si dans son enfance elle a été victime de ce que la société – sa mère, l’orphelinat – la contraignait, c’est seule qu’elle réussit à trouver son équilibre.
Or, Beth Armon est aussi, depuis l’enfance, accro aux pilules bleues que lui donnait l’orphelinat. Son rapport à la drogue, très important dans la série, est aussi bien représenté qu’il l’accompagne tout au long de son évolution. Ayant nourri la confusion faussement rassurante que son génie dépend de cette consommation, la quête de Beth pour devenir championne est constamment accompagnée de celle de la confiance en soi. Seul bémol, lorsqu’elle parvient enfin à s’en débarrasser, son sevrage semble un peu trop simple… Finalement, Le jeu de la dame offre au lecteur un message bien profond, celui d’une véritable quête d’indépendance.

Un chef d’œuvre cinématographique
Si ces messages parviennent si bien à toucher le spectateur, c’est grâce à une réalisation exemplaire. Après avoir réalisé des films comme Logan ou minority report, Scott Frank épate dans Le jeu de la dame par ses plans, aussi épurés que frappants. La seule excentricité permise étant l’échiquier au plafond, le réalisme est encore une fois de mise. Associés à une colorimétrie très poudreuse, avec beaucoup de tons verts rappelant l’addiction, certains plans sont dignes de tableaux. Au fil de l’évolution de Beth, la saturation augmentera, tout comme les couleurs de l’échiquier remplaceront celles des pilules.
De la même manière, la garde-robe de Beth évolue avec le personnage. Là encore, le rapport aux échecs est flagrant : vers la fin, quand elle se consacre entièrement à sa passion sans dépendre de la drogue, ses tenues adoptent les couleurs et la symétrie de l’échiquier. Plus que le récit de ses états d’âmes, les tenues de Beth racontent l’histoire de sa vie, ou comment elle est passée du pion facilement sacrifiable au statut de reine. En plus d’être visuellement magnifique, le travail des costumiers occupe ainsi une place importante dans la compréhension de l’histoire.

Enfin, il est primordial de souligner l’incroyable jeu d’acteur de cette mini-série. Anya Taylor Joy avait déjà joué au sein de prestigieux castings, comme celui de la série Peaky Blinders ou les films Slit et Glass de M. Shyamalan… mais c’est dans Le jeu de la dame que l’actrice s’est plus que jamais révélée. La manière dont elle est parvenue à s’identifier à Beth – à travers ses expressions, sa grâce ou son brin de folie – est palpable. D’autres acteurs, étoiles montantes ou pas, ont également livré de superbes prestations, parvenant à rendre chaque personnage attachant à sa manière.
C’est ainsi qu’en seulement sept épisodes, Le jeu de la dame parvient à transmettre à ses nombreux spectateurs les valeurs d’un univers sublimé, auquel la plupart étaient jusqu’alors indifférents. Une série prodigieuse, donc, à l’image de son héroïne. A ne surtout pas manquer !