Depuis ses débuts, l’homme a toujours cherché à contrôler le temps. Il a fait de l’accélération une quête perpétuelle, lui permettant de réaliser toujours plus de choses dans un temps de plus en plus restreint. Même lorsqu’il est question de loisir, de « pause », le temps est compté. Naturellement, l’homme est un être qui évolue : guidé par cette avidité de progrès, il ne cesse de créer, d’inventer et de pousser la technique vers le changement, celui de son propre rapport au monde.
Cette quête d’hyper vitesse est un réel syndrome du 21ème siècle, qui touche chaque membre de nos sociétés, qu’il en soit plus ou moins conscient et qu’il le veuille ou non. Mais ce que nous vivons aujourd’hui, et que certains – tels que Hartmut Rosa ou Paul Virilio – pointent du doigt, est un phénomène qui a toujours existé. Dès la préhistoire, les hommes cherchaient à réaliser leurs tâches de la manière la plus rapide possible. Ainsi ont-ils trouvé le moyen de faire du feu à partir de silex, de chasser en fabriquant leurs armes… 
Aujourd’hui, le même procédé est observable : la locomotive du XVIIIème siècle est née du désir, voire du besoin de se déplacer plus vite et plus facilement d’un endroit à un autre. Puis les transports n’ont cessé de s’accroître, chaque invention faisant place à une suivante. L’aviation, ou le train à grande vitesse ont déjà facilité le transport de voyageurs et de marchandises. Pourtant aujourd’hui, on parle de capsules capables de nous propulser d’un lieu à l’autre à 1200 km/h. 
L’information s’est elle aussi développée : aux télégraphes ont succédé les premiers téléphones, fixes d’abord, puis mobiles. Internet au début des années 2000 fut considérablement bouleversant dans le domaine des télécommunications, rendant toute information accessible beaucoup plus facilement, bien que dissimulée derrière le paravent que l’on appelle « écran ». En finance, on a vu l’arrivée des cryptomonnaies telles que le bitcoin en 2009. 
Une évolution, donc, qui n’a jamais cessé de s’accroître, en particulier dans les années 2000, et qui nous plonge dès aujourd’hui dans un monde proche de certaines œuvres de science-fiction ne datant que de quelques décennies.
Or il ne faut pas oublier que la rapidité modifie considérablement notre rapport au monde, touchant à certaines valeurs de base dont il serait fatal à l’homme de s’affranchir. Sans toutes ces innovations techniques, il ne serait certes qu’une créature ne pouvant dépasser les 40 km/h. A ce rythme, il est clair qu’une vie humaine ne suffirait pas pour réaliser ce que la majeure partie exécutent au cours de la leur. La vitesse permet donc à l’homme de réaliser ses ambitions. 
Mais initialement, dans sa nature la plus profonde, se tiennent des valeurs aussi, voire plus essentielles encore à la tenue de l’humanité : le rapport à l’autre, celui à l’environnement… Le risque est que la vitesse, en plaçant l’innovation et le progrès au-dessus de tout cela, provoque un menaçant déséquilibre. Dans ce sens ressort l’importance pour les hommes d’avoir conscience des conséquences des évolutions qu’ils génèrent. A titre d’exemple, prendre le train tous les jours pour se rendre au travail est rendu possible par les moyens de transports actuels. Mais gagne-t-on vraiment du temps en stressant parfois, notre corps ne pouvant agir contre les éventuels retards causés par la technique auquel on se laisse dépendre ? 
De la même manière, gagne-t-on vraiment en informations à lire rapidement les gros titres des médias sur nos téléphones ? Ce flux d’informations n’a-t-il pas, lui non plus, l’effet contraire à celui escompté ? La vitesse des télécommunications nous permet de « tout » voir d’un coup, comme si l’information entrait en nous par infraction, par un flux d’images venues dicter nos émotions, sans nous laisser le temps de prendre le recul nécessaire à leur bonne compréhension. 
Finalement, tout dépend de la manière dont l’utilisateur considère l’objet, et de la limite qu’il est le seul à pouvoir poser entre sa propre performance et la vitesse. L’hyper vitesse, ne l’oublions pas, comprend étymologiquement le sens de « déformer » le temps. Tel est l’adjectif définissant notre société.
Aujourd’hui, être capable de prendre des décisions dans l’urgence est un véritable atout. Les entreprises valorisent ceux susceptibles de « faire avancer les choses », avec un tas d’idées et l’ambition de proposer plus, en mieux. En journalisme, celui qui prend le temps d’écrire un long papier plein d’informations est généralement moins lu qu’un autre se contentant d’expliquer en surface un évènement très récent, insolite. 
Mais l’instantanéité, si efficace soit-elle pour mettre au courant n’importe qui où qu’il soit dans le monde, est aussi une source d’ignorance, voire de stress. Pour comprendre une situation, se permettre de la juger et faire vraiment avancer les choses – en aidant, en proposant quelque chose de mieux, et ne pas se contenter d’être assailli par l’émotion – le temps est forcément nécessaire. Pour reprendre l’exemple du journalisme, celui qui travaillera pendant un mois sur un sujet précis apportera bien plus à son lecteur que celui qui livre trois lignes sur un sujet « choquant ». La vitesse peut donc être efficace pour prévenir de certains faits, mais ne doit pas remplacer le temps que prend le cheminement de la raison. 
Enfin, même si chacun tend vers l’idée d’aller plus vite, il est à souligner que la vitesse ne se vit pas de la même manière partout dans le monde. Au sein d’un seul et même pays, la différence est déjà flagrante entre le monde rural et urbain, le premier étant « forcé » techniquement de prendre plus de temps pour réaliser des actions aussi simples que d’ouvrir une page internet... De plus, il est bien plus facile d’aller vite lorsque l’on possède de l’argent. Alors que le riche peut se permettre de payer pour aller vite, le pauvre est d’autant plus à l’écart, restreint de ne pas pouvoir avancer. La vitesse n’est donc pas seulement une source de stress et d’absence de réflexion au quotidien, c’est aussi un facteur contribuant à creuser les inégalités entre les uns et les autres.
En bref, la vitesse est une quête perpétuelle pour l’homme, qu’il rend indispensable à son mode de vie. Pour satisfaire ce « besoin » croissant, il lui faut utiliser d’autres moyens que son propre corps, d’où l’évolution constante des inventions au fil du temps. A l’heure où la rapidité est une norme dans nos sociétés et que le progrès ne peut être stoppé, il est d’autant plus important de rester fidèle à ses valeurs, tout en ayant conscience de nos limites en tant qu’être humain. Le progrès et la vitesse doivent servir ces valeurs, pas l’inverse. Notre rapport au monde aura beau être changé, le plus important résulte dans le fait que nous restions le plus conscients possible de ces changements, en prenant le temps nécessaire au recul et à l’indépendance d’esprit.
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